Les premières hérésies

Qu'est ce qu'une hérésie?

Une hérésie est souvent, au départ, la défense véhémente et exclusive d'un point partiel (quoique parfois authentique) de la Révélation, développant ce point au détriment de l'équilibre de la foi.

On parle d'hétérodoxie lorsque la doctrine s'éloigne de façon discutable de l'enseignement de la foi catholique sans menacer gravement son équilibre.

De nombreuses hérésies sont empreintes de gnosticisme, une pensée religieuse pré-chrétienne (notamment représentée dans le judaïsme hétérodoxe) qui s'est particulièrement bien adaptée au christianisme parce qu'elle est dualiste et syncrétiste.

Qu'est ce que le gnosticisme?

Le gnostique considère qu'il est un être purement spirituel injustement précipité dans un monde matériel dominé par le mal (dualisme). Dieu lui même n'aurait rien à voir avec cette création mauvaise mais aurait lui même été affaibli, appauvri en entrant en contact avec le monde mauvais. C'est la connaissance du divin (mystérieuse et accessible par initiations successives) qui peut lui permettre peu à peu de se libérer de son emprise terrestre. Connaître, c'est donc être sauvé, et peu y parviendront. Le gnosticisme intègre le Christ dans sa doctrine comme une émanation divine venu nous apprendre à nous libérer de la matière par la connaissance (et nie l'Incarnation du Christ). On retrouvera donc souvent chez les gnostiques des enseignements "secrets" du Christ. La gnose va pénétrer très tôt certains milieux chrétiens puisqu'elle était déjà présente dans le judaïsme hétérodoxe.

La gnose remet en cause la compréhension du message évangélique et va être une menace intérieure très sérieuse pour le christianisme du IIème siècle. 

Quelques gnoses

Simon le mage (Actes 8,9) est considéré comme l'initiateur de la gnose chrétienne et de toutes les hérésies (il est aussi l'initiateur de la simonie : le fait de monnayer les biens spirituels). Dans les Actes apocryphes de Pierre, on le décrit polémiquant avec ce dernier. Simon se prend pour une manifestation du dieu inconnu, descendu comme fils chez les juifs, père en Samarie, et esprit-saint chez les autres peuples (pour ce que nous en dit Irénée de Lyon). Pour un autre gnostique, Cérinthe, Jésus n'est qu'un homme que le Christ divin a quitté avant sa passion.

Basilide (vers 120-145 à Alexandrie) ajoute sa propre révélation (tenue de deux prophètes ignorés) aux évangiles. Valentin (Alexandrie) élabore une succession d'émanations. Carpocrate (Alexandrie) enseigne la transmigration des âmes et la nullité de la morale. Ces maîtres eurent de nombreux disciples qui semèrent d'autres troubles.

Autres hérésies

Marcion a une conception dualiste empruntée à la gnose qui oppose l'esprit à la matière et le Dieu du nouveau au Dieu de l'ancien testament. Il fit partie de la communauté de Rome en 139 avant d'en être exclu. Le Dieu bon n'est pour lui pas le créateur mais celui qui a pris l'apparence d'humanité du Christ. Sa morale est ascétique. Pour lui seul Paul a compris le Christ en opposant la foi à la loi. Marcion fonde bientôt une église séparée qui a sa hiérarchie, ses fidèles, et ses martyrs.

Le montanisme est un mouvement schismatique qui a pris une grande ampleur en Asie mineure après 170. Certains éléments de la foi sont exacerbés au détriment des autres : l'attente de la fin du monde, la venue de l'esprit (dont Montan est le prophète et réformateur, assisté de deux femmes) et une morale rigoriste. On recommande le martyre, on interdit les nourritures juteuses (!), les secondes noces, on se méfie du mariage, on n'admet pas à la réconciliation ceux qui sont tombés. Le mouvement se développe a une hiérarchie, tient des synodes. Un père de l'Église, Tertullien, passera au montanisme vers la fin de sa vie. Le mouvement se maintient jusqu'au VIIIème siècle. Ils sont combattus par quelques apologistes comme Méliton de Sardes, Apollinaire de Hierapolis, Miltiade.

Les manichéens ne sont pas à proprement parler une hérésie du christianisme mais il y a des ponts entre les deux doctrines puisque d'un christianisme gnostique, on peut glisser vers le manichéisme. Mani professait qu'il y avait deux principes égaux : un Dieu bon et un Dieu du mal au pouvoir duquel est le monde. Le manichéisme aura une sorte de résurgence dans l'hérésie cathare.

hérésies sur la Trinité

Le docétisme : aux deuxième et troisième siècles se développe une doctrine selon laquelle, le Fils ne s'est pas incarné mais a seulement pris une apparence humaine.

L'Arianisme part d'une simple constatation de bon sens : comment Dieu peut-il être un et trois à la fois, même s'il apparaît comme tel dans l'Écriture? Arius, prêtre d'Alexandrie répond que le Verbe (le Christ) n'est qu'une créature, n'ayant reçu le privilège d'être Fils que par adoption. La foi trinitaire n'ayant pas encore reçu de formulation définitive à cette époque, la crise va se propager dans tout l'orient au point que l'empereur Constantin décidera d'intervenir en convoquant le concile de Nicée. Arius sera exilé et excommunié mais l'arianisme continuera de se répandre, même parmi les barbares évangélisés par l'évêque Goth et arien Wulfila (311-383). La conception radicalement différente des rapports entre le Père et le Fils se prête à une soumission du spirituel au pouvoir temporel. Un des deux fils de Constantin, qui règnera sur l'orient sera arien. Lors de la dissolution de l'empire romain, l'arianisme manquera de peu de l'emporter sur le christianisme. En 589, le dernier roi arien, Récarède Ier, roi Wisigoth d'Espagne, est le dernier à se convertir.

Le monophysisme est une conséquence du nestorianisme. En réaction à cette thèse qui voyait deux personnes dans le Christ, Eutychès, moine de Constantinople, bientôt suivi par de nombreux orientaux dont l'empereur Théodose II, professe que les deux natures du Christ sont si unies que la nature humaine s'est fondue dans la divine. (Encore vaudrait-il mieux préciser les termes parce qu'à vouloir l'expliquer en deux lignes, on caricature vite). Le concile de Chalcédoine (451) adopte la définition formulée par le pape Léon I : il y a deux natures dans l'unique personne du Christ et leur union n'a pas supprimé leur différence. C'est la première fois que le pape joue un rôle majeur dans un concile (il a d'ailleurs refusé les conclusions tirées au concile bâclé juste avant en 449 à Éphèse) et se montre par là garant de l'unité. La doctrine monophysite est condamnée et le patriarche d'Alexandrie est déposé. L'Église d'Alexandrie fait sécession avec son patriarche (c'est l'Église copte égyptienne d'aujourd'hui). Idem pour l'Église de Syrie : église jacobite, et ensuite pour l'Église arménienne qui devient l'église apostolique arménienne. Les empereurs de Byzance n'arriveront pas à restaurer l'unité perdue mais une fraction de ces églises rejoindra l'église catholique, c'est l'origine du rite copte, du rite syrien, du rite arménien dans l'Église catholique.

hérésies sur la liberté et la grâce

L'erreur du moine Pélage consiste à croire que c'est l'homme qui a la plus grande part dans son salut et que la grâce est quasi inutile. Cela se traduit au quotidien par une ascèse extraordinaire pour conquérir son salut de ses seules forces. Il fut fortement réfuté par Augustin au point que celui ci tint des propos si opposés à Pelage qu'ils pourront être interprétés plus tard dans le sens de la grâce seule dans la théologie de Luther et de la prédestination dans la théologie de Calvin.

Le rôle des évêques dans le maintien de l'unité :

Comment la foi chrétienne ne s'est-elle pas dissoute dans ces hérésies, ces déviances, ces cultes parallèles? Ce qui a permis de garder le message chrétien dans la droite ligne de la prédication apostolique, c'est la communion ecclésiale naissante. Bien qu'informelle, les évêques ont bien conscience que c'est par leur communion entre eux et leur fidélité collégiale à l'enseignement des apôtres qu'ils protègent le dépôt de la foi de toutes les déviances. Plus tard, au moment de l'hérésie arienne, c'est l'empereur Constantin qui matérialisera cette collégialité en conviant tous les évêques à un concile (de Nicée) pour mettre par écrit tous les points remis en question par l'hérésie et répondre aux questions émergentes.

La réponse théologique aux hérésies :

La pensée catholique est amenée à se préciser partout où des divergences radicales menacent l'équilibre de la pensée chrétienne : le dieu créateur, Père de Jésus-Christ, la réalité de l'incarnation et de la passion, la rédemption et la résurrection de la chair, la valeur de l'ancien testament et de l'histoire du salut. La question de l'Esprit Saint sera fixée plus tard. Le canon des écritures du nouveau testament est fixé vers 200 (en réponse notamment aux Marcionistes qui ne retenaient que quelques écrits). Des symboles ou professions de foi sont proposés aux fidèles. Irénée sera un des premiers représentants de la théologie systématique en réponse aux hérésies.

Tertullien démontre l'antériorité de la doctrine apostolique sur celle des gnostiques, explique la résurrection de la chair en réponse au docétisme.

Hégésippe (115-185) écrit la première histoire de l'Église pour recueillir le témoignage authentique des apôtres en établissant comment il est passé de main en main.

Les gnostiques prétendaient tenir des révélations secrètes des apôtres : Irénée leur répond en démontrant le critère de la succession apostolique par la communion des évêques.

Autres conséquences des hérésies :

Ne croyons pas que ces hérésies n'étaient que des épiphénomènes. Certaines ont pris une telle ampleur qu'elle avaient des hiérarchies parallèles à la hiérarchie catholique (ce fut le cas du montanisme et de l'arianisme). L'arianisme était devenu la religion de certains barbares (comme les Wisigoths) qui ont bien failli succéder à l'empire romain. De grands personnages ont succombé aux hérésies (l'empereur Constantin, Tertullien se sont convertis respectivement à l'arianisme et au montanisme à la fin de leur vie). Certaines d'entre elles ont diffusé des idées bien contraires à la foi chrétienne dans les mentalités (manichéisme), ou ont été insidieusement faussement proches (comme le New Age aujourd'hui). La disparition du christianisme en Afrique du Nord est probablement due au fait que la foi y était théologiquement minée par les disputes hérétiques et l'Islam a tout balayé. Ce même Islam a une fausse idée du Christianisme parce que Mahomet était entouré d'hétérodoxes quand il a rédigé le Coran.

L'enjeu n'est donc pas sans conséquences pour le Christianisme. Mais ce qu'il en est ressorti de bon, c'est une entreprise de formulation théologique et de précision du dogme qui a nourri la vie intellectuelle jusqu'au moyen âge où la scolastique dite décadente s'est mise à tourner en rond.

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