Renard Web

le Mal (première partie)

Le néant contre la plénitude, un autre regard sur le mal

samedi 23 août 2014

Le mal, c’est une grande énigme, une grande cause d’indignation, et quand nous le subissons, une grande souffrance. Il y a très peu de textes spirituels ou non qui ont la prétention de donner un début de réponse à la question du mal.

Je vais examiner dans ce texte l’idée que le mal est la victoire du Néant sur la Plénitude. [1] La victoire du néant peut être provisoire et dans ce cas, le mal ne tue pas, mais c’est l’épreuve qui rend plus fort. La victoire du mal peut être définitive et dans ce cas, c’est la mort qui l’emporte.

Qu’est ce que le mal ?

Nous avons tous été confronté au mal, sous diverses formes :

  • quelqu’un qui fait du mal intentionnellement ou involontairement
  • quelqu’un qu’on aime et qui subit une souffrance, un deuil, une perte
  • tout ce qui nous fait peur et qui semble plus fort que nous
  • quelqu’un en qui on a confiance et qui nous trahit
  • des injustices contre lesquelles on ne peut rien
  • ce à quoi on croyait, ce que l’on a bâti réduit à rien
  • des innocents qui perdent tout
  • une catastrophe à grande échelle qui s’abat sur une population
  • des groupes d’hommes armés et violents qui tuent, pillent et/ou violent

On pourrait multiplier les exemples à l’infini à tel point qu’il semble difficile de donner une définition d’un mal qui peut prendre tellement de formes. Mais il me semble qu’il y a un point commun entre tous ces exemples : c’est la perte, c’est le néant qui l’emporte sur la vie.

Le néant qui gagne, c’est quand la mort nous enlève un être cher, quand la trahison tue l’amour, quand le mensonge égare et corrompt, quand le désespoir emporte toute joie, quand le sacrilège souille ce qui est sacré et quand on nous arrache ce que l’on a construit.

On peut donc comprendre la vie, notre vie, la vie des humains, de tout ce qui vit comme une sorte de lutte sans fin entre les forces de vie, de régénération, de croissance, d’avenir, et tout ce qui est leur négation, tout ce qui représente le néant, la décroissance, la privation d’avenir. Ayant ainsi défini le mal, nous nous trouvons avec une définition constructive parce qu’elle donne des perspectives. Ainsi armés, nous pouvons donc poser les 2 questions suivantes :

  • peut on choisir le mal ?
  • peut on échapper au mal ?

Peut on choisir le mal ?

Mais puisque le mal est clairement à l’encontre de tout ce qui est juste/droit/généreux/beau, qui donc pourrait choisir de faire le mal, c’est à dire choisir le néant ? Personne bien sur, c’est tout à fait inconcevable. Une seule explication reste possible, celui qui choisit le mal ne le voit pas comme le néant qu’il est, n’en perçoit pas toutes les conséquences néfastes. Ce peut être de la courte vue, certes, mais il est bien plus probable que celui qui commet le mal ne le voit pas pour ce qu’il est.

Eh oui, souvent le mal se drape d’illusion, et c’est là le grand drame de la conscience humaine que de ne pouvoir reconnaitre le néant et à travers l’illusion d’y voir son propre bien.

  • Ainsi en est-il de ceux qui cherchent la fortune, de ceux qui mettent au premier plan la satisfaction de leur orgueil blessé, ou un mirage de leur propre liberté au détriment de celle des autres.
  • Ainsi en est-il de ceux qui se laissent séduire par des sectes au point de nuire à leur propre santé
  • Ainsi en est-il de ceux qui croient qu’ils peuvent tuer pour défendre leurs idées
  • un théologien du moyen-âge, Thomas d’Acquin défend l’idée que même s’il y a une loi naturelle "juste" édictée par Dieu, les croyants ne peuvent la percevoir clairement à cause du péché originelqui obscurcit leur raisonnement.

Il est toujours possible d’ouvrir les yeux sur l’illusion du néant, mais à mesure que l’on s’enfonce dans le néant et que tout s’obscurcit seule une illusion plus grande peut permettre d’éclairer les ténèbres. C’est une question de perspective : celui qui est embarqué dans l’illusion n’y voit que du feu.

On retrouve ce thème de l’illusion dans la plupart des mythologies, sous une forme ou sous une autre. C’est Lucifer qui croit qu’il pourra prendre la place de Dieu, c’est Adam et Eve qui croient que croquer la pomme [2] leur apportera la sagesse. Cette illusion est donc ontologique, elle est au coeur de notre expérience humaine dès le commencement : en voulant être plus que ce qu’il n’est, l’homme cède à l’illusion, et cédant à l’illusion, il fait ses premiers pas vers le néant.

Peut-on échapper au mal ?

De notre nature blessée et souffrante, nous sommes poussés à la compromission avec le néant mais ce n’est pas inéluctable. Tout homme a la capacité d’ouvrir les yeux, et tout homme a la capacité de se faire lumière dans les ténèbres par sa compassion, et par sa recherche de la vérité.

Ne nous leurrons pas, nous avons chacun nos propres illusions, à commencer par l’illusion d’avoir choisi le bien, et de ne pas nous être compromis avec le mal. C’est une épuration du coeur de chaque jour que de reconnaitre dans nos gestes quotidien qui l’égoïsme, qui l’orgueil, qui le désir de possession, qui la tentation du désespoir. Remonter la pente hors du vain royaume de l’illusion est un long chemin, le chemin de toute une vie, mais nous ne le faisons pas seul, nous entrainons ceux que nous aimons autour de nous.

C’est donc la recherche de la vérité qui est nécessaire pour sortir de la spirale infernale du mal. Et ce n’est pas une mince affaire, n’est-ce pas ? Nous sommes à peine sur le début du chemin, nous venons de découvrir que nous sommes menés par le bout du nez par l’illusion. Où se situe la vérité ?

Plusieurs chemins sont possibles, tous périlleux :

  • S’en remettre à une morale, c’est le chemin le plus facile car l’on bénéficie de l’expérience et de la tradition de tous ceux qui nous ont précédé. C’est un chemin périlleux car les exigences des grandes traditions spirituelles sont immenses. La barre est placée très haut. Il faut la viser, sans s’illusionner sur le fait qu’on pourra l’atteindre au premier essai. Le chemin est aussi difficile car les grandes traditions spirituelles, par excès d’ambition, ou d’orgueil, ont la prétention de régenter la morale, de séparer le bon grain de l’ivraie, bref sont elles aussi dans une relative illusion. C’est le choix que feront les croyants, surtout ceux qui ont la foi du charbonnier.
  • S’en remettre à son propre discernement. C’est le choix que feront plus volontiers les athées et les agnostiques. C’est aussi un choix bien orgueilleux que de croire qu’on va tout réinventer. C’est aussi un danger, celui de se construire ses propres illusions. L’exigence est donc très grande, l’inexpérience est dangereuse, et les possibilités sont trop vastes pour être expérimentées une à une. L’humilité doit être infinie, la patience doit être à la mesure de l’enjeu. la méditation est un outil efficace : se retrouver seul face à soi même, dans le silence, relire sa journée, laisser émerger les questions, les réponses.

Le juste milieu se trouve dans un usage des deux voies, l’une pouvant éclairer l’autre, ou la relativiser.

  • Comme un juste milieu entre les deux précédentes, choisir une éthique qui vise à progresser, à devenir meilleur, plus humain, plus aimant, plus relié aux autres. C’est adopter une morale comme “aimez vous les uns les autres” proposé par le Christ, une exigence difficile, jamais toute traçée, mais un guide sur le chemin. Cela nécessite de la curiosité, de l’intelligence, de la capacité à se remettre en question. Et peut être tout simplement de se laisser questionner régulièrement par un bon conseiller spirituel, pas quelqu’un qui nous montrera une voie toute tracée mais quelqu’un qui mettra en question la voie que nous suivons.

Pour aller plus loin :

Malheureusement, le problème du mal ne se résume pas à une équation simple sinon des hommes de bonne volonté en seraient venu à bout depuis quelques siècles avec, sans ou malgré la religion. Les quelques pistes évoquées dans ce court article permettent de répondre à quelques questions simples sur le mal, elles sont tout à fait insuffisantes pour aller plus loin. Jusqu’à présent aucune philosophie et aucune religion n’ont apporté de réponse plus satisfaisante à cette question. Nous n’aurons pas cette prétention non plus, mais ça n’empêche pas d’essayer, prochainement, d’aller un peu plus loin.

P.-S.

Cet article fait partie d’une série sur mon blog destinée à former une réflexion quotidienne qui constituera un dictionnaire pragmatique et inconstant pour mieux vivre en tirant profit de l’expérience. Vous souhaitez les retrouver retravaillés sous forme de livre, il vient de paraître, rendez vous sur le site de l’éditeur.


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Notes

[1] Si vous êtes croyant, vous pouvez remplacer la Plénitude par Dieu mais je me contenterai d’utiliser le terme de plénitude.

[2] enfin c’est un peu plus qu’une pomme, c’est le fruit de l’arbre de la connaissance